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  • Julien Geffray

C'est déjà la fin des vacances

Le corollaire de ne plus avoir d'emploi salarié, c'est de ne plus avoir de congés payés. C'est grave docteur ? Je souhaite partager ici comment le mot "vacances" a acquis pour moi un sens tout à fait nouveau.


Le congé de monsieur-tout-le-monde ou presque


Comme beaucoup de gens, j'ai travaillé dur pour des patrons qui, contraints par la loi, m'accordaient cinq semaines de congés plus des RTT. Au plus fort de mon engagement aveugle pour une boîte, je ne les prenais même pas toutes : obsédé par le profit et la reconnaissance, je faisais acte de présentéisme forcené et en attendant presque des félicitations. Les années passant et cette soif de reconnaissance ayant été dûment frustrée, je suis rentré dans le rang de ceux qui attendaient avec impatience la date des congés, mettant une intensité folle dans la volonté de "réussir" mes vacances, en les remplissant bêtement. Enfin, le burnout approchant, mes "vacances" se sont singulièrement simplifiées, allant jusqu'à passer une semaine entière calfeutré devant les Jeux Olympiques d'été...


Trois rapports aux vacances, et pourtant aucune d'entre elles ne m'apportait pleine satisfaction. Quand j'avais le bonheur d'avoir trois semaines de congés, je mettais une semaine à déconnecter, une semaine à profiter bien détendu, et inconsciemment je me reconnectais en anticipation pendant la troisième. Bien entendu, quand je n'avais "que" deux semaines, c'était celle du milieu qui sautait. Finalement, je n'avais pas de rapport sain aux vacances, pour la simple raison que mon rapport au travail était lui-même pathologique.


Le congé très long


En 2012, j'ai pris une année sabbatique, qui s'est transformée en deux ans sans travail. Deux ans sans travailler ! Avec ce que cela comporte de stupeur quotidienne : le monde tourne sans que je ne l'y pousse. Rien ne s'effondre du fait de mon "oisiveté", de ma non-participation à la sacro-sainte croissance. Premier choc.


Second choc : tout ce temps libre est facile à remplir quand on voyage, mais paraît abyssal dès que le sac à dos est posé. Je ne reviendrai pas sur mon contexte psychologique de l'époque qui a suivi la première année de voyage, mais il m'a fallu beaucoup de temps pour accepter que je ne savais pas "quoi faire" pour aider le monde à avancer vers un futur souhaitable, et finalement à réinitialiser mon rapport au travail. Au bout d'un an d'inactivité professionnelle, j'ai pu reprendre une activité et m'y épanouir, sans m'y brûler, sans culpabilité. J'avais guéri mon rapport au travail, mais mon rapport aux vacances restait confus, sans que je ne comprenne bien pourquoi. Il s'agissait principalement, alors, de me reposer.


Le congé définitif


En 2019, après cinq années de loyaux services, et dans une démarche que j'ai déjà décrite, j'ai décroché complètement du "monde du travail". Depuis, je me consacre à 100% à la mission que je me suis donnée : laisser ce monde plus propre que je ne l'ai trouvé en entrant. Comment ? En agissant et en militant pour la cause écologique dans son ensemble, en particulier la cause climatique. En faisant quoi ? En acquérant des compétences en apparence iconoclastes voire contradictoires (de greffer un arbre à conduire une pelleteuse), en dédiant un maximum de temps à mon enfant, en développant ma connaissance de mon territoire, en participant à l'éducation climatique de mes concitoyens... Le point commun de toutes ces activités est que j'en ai profondément envie et que je n'en suis jamais fatigué.


Je viens seulement de m'en apercevoir : je n'ai presque pas pris de "vacances" depuis 2019. Deux longs week-ends pour voir des amis, une semaine (en hiver) pour montrer à mon fils sa ville natale. Cela s'est fait naturellement, au gré des discussions familiales, par envie et sans avoir à remplir un "créneau de vacances". Cet été, nous partirons quatre jours à Paris, toujours pour montrer d'autres réalités à notre enfant. Mais nous n'avons aucun besoin de "déconnexion" car nous ne sommes pas "hyper-connectés", nous n'avons aucun besoin de "dépaysement" car quand on est tous les jours au jardin, le paysage change de lui-même tout au long de l'année. Nous n'avons pas besoin de "découvrir le monde" car notre enfant, nos relations de famille, sont en elles-mêmes tout un monde à explorer. Nous avons réussi ce projet de choisir où nous voulions vivre, et dès lors il n'y a aucune raison de chercher à en partir! Il m'arrive de passer deux jours d'affilée loin de mon chantier. Le second soir, je me couche en trépignant d'impatience d'y retourner, tellement j'y trouve de satisfaction personnelle.


Un congé pour quoi faire ?


Les grandes vacances sont en été, le moment où nous sommes physiologiquement au maximum de notre énergie. Cela se justifiait quand il fallait que les enfants soient disponibles pour donner un coup de main à la moisson, mais aujourd'hui ? Aujourd'hui on planifie de se reposer au moment où le corps en aurait le moins besoin, quelle ironie ! Bien sûr, les plus jeunes en profitent pour maximiser les sensations fortes, les fêtes, pour dépenser cette belle énergie, qui originellement devait servir à notre espèce à amasser des provisions pour l'hiver. De fourmis nous voici cigales, de récolteurs nous voici gaspilleurs. J'en ai commis ma part et probablement plus, cela ne m'empêche pas de le questionner.


A l'aube de mes quarante ans et avec un mode de vie équilibré entre intérieur et extérieur, entre force et raison, c'est désormais l'hiver que j'ai besoin de me reposer. L'énergie est basse, les journées plus courtes : on ne travaille pas de nuit sur un chantier. Je me couche plus tôt, bien au chaud, je mange davantage pour lutter contre le froid dehors. C'est à cette période qu'il me faudrait plusieurs semaines d'inactivité laborieuse : du temps que je consacrerais à l'étude, à la compréhension du monde, aux échanges avec mes proches, avant le redoux du printemps et la réalisation consciente des projets mûris pendant la trêve hivernale.


Est-il normal pour nos enfants et nos employés de travailler le même nombre d'heures en hiver et en été ? Je me souviens de sortir à 7h du matin, hiver comme été, pour aller prendre mon bus de collègien. De longs mois d'hiver à attendre dans le froid et le noir, sous un abribus de campagne... autant d'heures que nous aurions eues à profusion dès le mois de mai, quand on devenait moins sensibles à la fatigue !


Imiter la nature

La permaculture nous encourage à observer les phénomènes naturels pour nous en inspirer. La nature ne prend pas de vacances. Tout au plus a-t-elle des cycles. Les oiseaux migrateurs vont ailleurs passer la moitié de l'année, puis reviennent. Rob Hopkins suggérait que l'espère humaine pourrait également organiser certains flux migratoires saisonniers pour effectuer les travaux requis ici où là, une hypothèse farfelue mais très "feel good". En tout cas, ce principe m'a conduit à d'observer que nulle autre espèce que la nôtre ne se presse à fond le citron pendant la majeure partie de l'année pour se "reposer intensivement" pendant quelques malheureuses journées. Une vie à un rythme soutenu mais tranquille, libre mais organisée, cyclique mais flexible, résiliente face aux bouleversements extérieurs, et surtout confiante en sa force : voilà ce que je m'efforce de mener désormais, et qui a totalement supprimé en moi le "besoin de prendre des vacances".

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