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  • Julien Geffray

Entretien avec un leader audacieux - Sylvain Breuzard (1/2)

Dernière mise à jour : 17 août 2019

La première interview du projet Addithana fait l'objet de deux posts. Le leader héroïque rencontré : Sylvain Breuzard, au double engagement économique (comme PDG fondateur de Norsys, société de services informatiques) et militant (comme membre du Conseil d'Administration de Greenpeace).


Le présent post questionne son parcours et ses convictions fortes à propos de la transition écologique, en particulier le rôle des entreprises.


Le second post abordera des questions concrètes à l’usage de leaders en recherche d’inspiration, basées sur l’exemple de sa société Norsys.


Pour la réalisation de ces posts, M. Breuzard nous a accordé deux heures d’entretien en juillet 2019.


 

Addithana est né de ce mouvement de cadres tertiaires qui, suite à une prise de conscience socio-écologique, quittent leur environnement pour vivre à la campagne, développer des compétences plus manuelles ou s'engager dans une forme ou une autre de transformation sociétale. Que pensez-vous de ce mouvement ?


Ces personnes ont su transformer la prise de conscience en remise en question : bravo à eux, car c'est le plus difficile. Bien sûr, l'important quand on souhaite changer le monde est de rester humble, d'accepter ses propres contradictions pour tolérer celles des autres. C'est un projet très ambitieux et l'approche pas à pas est indispensable.


Que pensez-vous de la responsabilité des chefs d'entreprise dans la transformation radicale que l'urgence socio-climatique exige de nous ?


Il est, de toute façon, bon pour l'entreprise de prendre soin de son environnement. Un individu constate qu'il ne peut pas s'épanouir dans un environnement dégradé ou violent. C'est la même chose pour une entreprise qui est d'ailleurs une "personne morale" et que je n'hésite pas à me représenter comme un être vivant. Les leaders d'entreprises doivent donc réfléchir à l'avenir de cette "personne" via la préservation de son environnement, et devenir co-acteurs de l'action climatique et environnementale.


"Il n'y a jamais eu autant d'entreprises à annoncer leur engagement"

D’où vient votre propre engagement ?


Il n'y a pas eu d'événement déclencheur. C'est mon parcours qui, par séquences, m'y a amené. Cela a d'abord commencé par l'ouverture sur des questions de management, au moment de la création de Norsys. Ce que j'avais vécu ailleurs m'a incité à innover. De fil en aiguille, je me suis posé beaucoup de questions sur l'accompagnement des personnes, de leur recrutement à leur départ.


J'ai également intégré le Centre des Jeunes Dirigeants d'entreprises (CJD) et m'y suis investi, car j'y trouvais ce que je n'osais même plus chercher : un environnement promouvant une économie au service des hommes. Grâce à cette expérience d'ouverture, j'ai découvert les notions de RSE et la nécessité d'intégrer d'autres indicateurs que financiers dans la réussite d'une entreprise. J'ai participé avec le CJD à l'élaboration du concept de "performance globale", que Norsys applique toujours aujourd'hui.

M'étant donné les moyens d'agir concrètement via la création d'une entreprise, j'ai eu le terrain d'expérimentation me permettant de développer et tester des convictions. C'est grâce à cela que j'ai ensuite été coopté par Greenpeace et que j'ai développé mon réseau actuel. Je pense important de transmettre mes convictions, et je suis optimiste car il n'y a jamais eu autant d'entreprises à annoncer leur engagement.


Justement, la RSE et ses corollaires social-washing et green-washing ont le vent en poupe. Que pensez-vous de certifications comme Great Place to Work ?


Il faut décoder l'origine de chaque certification. La certification GPTW vient des Etats-Unis, avec le modèle culturel anglo-saxon. Nous l'avons essayée en 2010 puis laissée de côté car nous trouvions le modèle biaisé, ou au moins incomplet. Les entreprises aujourd'hui certifiées ne brillent pas toutes par leur impact positif sur la société.


Note : Nous reviendrons dans le prochain post sur la certification B-Corp obtenue par Norsys en 2019


"Viser le moindre mal"

Votre secteur d'activité, l'informatique, est un contributeur de plus en plus important au réchauffement climatique et à la pollution. Comment Norsys traite-t-elle cet aspect dans sa démarche ?


Je reviens sur le fait qu'il faut vivre avec ses contradictions et accepter que rien ne puisse être parfait. Il est vrai que s'adapter est le plus difficile. Dans l'IT, il est impossible de trouver des fournisseurs locaux ou "green", et Norsys contribue à l'accroissement de la consommation énergétique via le web. Dès lors, notre philosophie à cet égard est de viser le moindre mal.


Au-delà de votre impact direct, vous travaillez pour des clients qui ont leur propre empreinte écologique, plus ou moins importante. Ce critère rentre-t-il dans votre choix d'activité ?


Quel que soit le secteur il est difficile de refuser des clients. C'est seulement maintenant, après 25 ans d'activité, que nous commençons à pouvoir choisir nos clients, en particulier en refusant de travailler avec des entreprises à impact trop négatif.


Veillez-vous à recruter des personnes engagées à titre individuel ?


Pas nécessairement, mais nous demandons aux futures recrues de bien réfléchir à la cohérence de leur engagement avec l'éthique de Norsys, ce que nous cherchons à être.


"L'entreprise est un lieu d'acquisition de la connaissance"

J'ai le sentiment qu'aujourd'hui il y a encore une schizophrénie entre le salarié armé de sa conscience professionnelle d’une part, et le citoyen chargé de sa conscience sociétale d’autre part. Est-il possible d'impliquer des salariés dans un engagement citoyen ? Peut-on faire se rencontrer ces deux "personae" au niveau de chaque individu ?


Je considère que l'entreprise est un lieu d'éducation. Dans nos vies, elle est la continuité de l'école et l'université dans l'acquisition de la connaissance. Tout est question de pédagogie.

Prenons un exemple concret : Norsys a décidé de présenter un bilan carbone neutre en utilisant la compensation. L'idéal du zéro-émission nous semble malheureusement inaccessible. On aurait pu le faire de façon globale et descendante, presque sans en parler aux salariés. Au lieu de cela, nous avons décidé de le faire au niveau de chaque salarié, en lui permettant de calculer son propre bilan carbone professionnel, puis en lui donnant accès à un financement pour compenser ce bilan via la plantation d'arbres. Tout est financé par l'entreprise, mais c'est le salarié qui choisit de compenser ou non. En début d'année 2019, 50% des salariés avaient planté leur premier arbre. En juin, deux-tiers de l'effectif a pris cette action. Le résultat est intéressant, mais c'est surtout le cheminement de chacun, la prise de conscience, qui porte ses fruits. Se poser la question de son bilan est le premier pas vers une réduction.


Que diriez-vous à un salarié qui démissionnerait parce qu'il ne trouve plus le sens dans les nouvelles technologies, et souhaite contribuer positivement à la marche du monde ?


C'est arrivé. Je lui dirais que sa posture est respectable, et que si Norsys peut faciliter son rebond, on le fera. J'ai un profond respect pour le chemin de chacun.


Addithana aborde la notion de changement systémique via trois éléments interdépendants : la disponibilité des ressources comme moteur du modèle actuel, la qualité de l'environnement comme conditions de ce modèle, et l'adhésion collective comme caution de ce modèle. Les variations sur chacun de ces trois piliers ont des influences sur les deux autres, et on constate des changements majeurs sur chacun d'entre eux. Que pensez-vous de notre façon de voir ?


Globalement je suis d'accord avec la vision mais j'y apporterais des nuances. Dans le détail, il n'est pas certain que le pic pétrolier soit passé, étant donné les zones (entre autres polaires) qui restent à prospecter. L'élément central pour moi reste l'environnement, qui est celui sur lequel on peut décider ou non d'agir, et qui a le plus d'impact immédiat sur les personnes et l'entreprise. Exploiter du pétrole en Arctique n'est un problème que parce que c'est mauvais pour l'environnement directement (exploration) et indirectement (émissions de gaz à effet de serre). Je trouve surtout que votre présentation des choses a un côté négatif, anxiogène, alors que j'essaie de mon côté de rester positif.


"Le changement n'est pas du ressort des masses"

En ce sens nous faisons face à un écueil classique pour les écologistes : à être trop négatif notre interlocuteur fait l'autruche, à être trop positif il se détend et n'est pas poussé à l'action. Quels sont les mots capables de faire passer quelqu'un à l'action du changement ?


Il n'y a pas de solution miracle. Nicolas Hulot a été un bon exemple : il a eu une phase de discours très noir, et il a été moins écouté. Son dernier film sur ce ton, "Le Syndrome du Titanic", a été boudé par les spectateurs. Les gens n'ont plus envie de négatif, il veulent du positif. Le changement, de toute façon, n'est pas du ressort des masses. Je m'inspire personnellement de cette phrase : "ce ne sont pas les masses qui font l'histoire, mais les minorités convaincues par leurs valeurs qui agissent sur les masses". Les mouvements citoyens qui émergent en sont l'expression : ils viennent de petites minorités, puis font boule de neige, et un jour auront un réel impact politique.


Une députée écologiste m'a un jour parlé de la nécessité absolue d'instaurer rapidement un rapport de force au niveau politique, vous êtes donc d'accord avec elle ?


Oui, absolument. C'est l'essence de mon engagement avec Greenpeace. Les entreprises ont leur propre rôle à jouer.


Pensez-vous que la donne soit amenée à changer pour les entreprises avec davantage de réglementation ?


C'est mon avis. Il n'y a malheureusement pas assez d'entreprises pour faire changer les choses de façon naturelle. Comme pour l'instauration de l'égalité hommes-femmes, ou pour les discriminations, on va passer d'une politique volontariste à coercitive : sur chacun de ces deux sujets, quatre lois sont passées et il est de plus en plus difficile de contourner ces sujets. Sur l'environnement, l'absence de mouvement collectif aboutira forcément l'Etat à légiférer et c'est dommage, car on passe encore une fois du choisir au subir.


Une question en forme de bilan : êtes-vous optimiste ou pessimiste pour les jeunes enfants de 2019 ?


Je comprends que des parents se sentent angoissés pour l'avenir. A mon sens, il faut tout faire pour que nos jeunes enfants ne le ressentent pas. Retombons en enfance, et demandons-nous ce qu'il serait advenu de notre créativité, de notre envie de chercher des solutions, si nos parents ne nous avaient pas transmis une certaine foi en l'avenir. Le pessimisme formate et peut à mon sens handicaper la créativité des générations futures. On a beaucoup glosé sur la génération Y, ultra-connectée et court-termiste. Cela procède justement d'un manque de confiance en l'avenir. Pourquoi ? Comment nous remettre en cause ? C'est un des sujets pour les jeunes parents.

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