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  • Julien Geffray

Pourquoi se former à la permaculture en entreprise ?

Dernière mise à jour : 24 nov. 2019

Dans ce post, je vous invite à vous intéresser à la permaculture comme mode de pensée pour construire et mener une stratégie d’entreprise.


Au fait, pourquoi ?


J’accompagne mes clients à travers l’ensemble des changements induits par la crise écologique, et qui concernent ou concerneront leurs clients, salariés, flux et organisations.


L’accompagnement se veut holistique plutôt que catégoriel : une commission sur les plans de déplacements des salariés, une autre sur la climatisation des locaux, une autre encore sur l’accompagnement psychologique lié à l’éco-anxiété... rien de tout cela ne vaut une réflexion globale permettant de saisir la complexité de ce qui est à l’œuvre.


La complexité est un des quatre leviers que je propose, avec l’audace, le pragmatisme et le spirituel. Ces trois derniers leviers viennent de ma modeste expérience. Sans être ni le meilleur commercial du monde, ni le meilleur ingénieur, ni le plus grand méditant, j’ai suffisamment creusé ces trois disciplines pour être en mesure de leur donner une cohérence. En revanche, la pensée complexe m'est une nouvelle discipline. Je m’abreuve à deux sources : la source intellectuelle (merci Edgar Morin) et la source empirique grâce à la permaculture, dont je viens de terminer la première étape de formation : un cours certifié (CCP) de 12 jours sur le site de Terre Paille et Compagnie, en Nouvelle-Aquitaine.


Lors d’un tel cours, trois niveaux de compréhension sont proposés aux étudiants : l’éthique, les principes, et les outils. Notez que la permaculture est trop souvent cantonnée à ce seul dernier niveau : on parle de buttes, d’association de légumes... des outils dont on parle au cours d’un CCP, mais de façon presque anecdotique. Or, la permaculture ne peut se réduire à l’un de ses éléments. Vue globalement, elle fait exploser la vision de l’univers que nous donne l’éducation française classique : un monde de disciplines cloisonnées, un monde de problèmes à résoudre les uns après les autres. La permaculture, elle, vise à résoudre tous les problèmes d’un coup, de façon la plus simple possible. Elle est la science du complexe, là où notre ingénierie classique est la science du compliqué. Les deux sont complémentaires, ne nous méprenons pas. Mais, dans la phase de conception - y compris celle d’une entreprise – il vaut cent fois mieux convoquer un permaculteur qu’un expert comptable ou un programmeur, point sur lequel je reviendrai.


Impressions d'un Cours Certifié de Permaculture


Revenons d’abord sur cette expérience de Cours Certifié de Permaculture. Nous étions 22 participants, de 21 à 66 ans, avec des objectifs personnels très divers. Le mien était double. D’abord, je souhaitais découvrir des éléments de savoir complexe afin de créer mon propre site écologique familial : j’ai été plus que servi par l’expérience des formateurs Pascal Depienne, Joël Guyon et Jérôme Suet. Ensuite, je souhaitais faire infuser en moi, pendant une longue période d’immersion, l’éthique et les principes que, bon élève, je connaissais via plusieurs ouvrages sur le sujet, dont la référence « Permaculture » de David Holmgren dont nous reparlerons.


Au cours du séjour, j’ai été saisi par le contraste entre l’apparente simplicité de ce qui s’offrait à mes yeux et la performance spectaculaire qui s’en révélait. Nous étions sur un site de 5000m² composé d’un lieu de vie d’architecture naturelle (maison en terre-paille, enduits à la terre, grange en pierre, cabanes diverses), d’un potager, de plusieurs mares, d’une serre et d’un bout de forêt. L’impression conférée par les matériaux de récupération, l’absence d’éléments de richesse conventionnels (une belle pelouse, un beau garage, des murs bien lisses...) pourrait être celle qui vous aurait saisi si vous aviez visité la ferme de mes grands-oncles il y a trente ans : une impression de simplicité rustique, pour ne pas dire de pauvreté, assortie peut-être d’un sentiment de pitié pour ces gens qui n’ont pas réussi à prendre le train de la modernité et décrocher un post de designer dans un bureau de grande cité.


Pourtant, vous êtes chez un des designers en Permaculture les plus reconnus de France. Les tenants du lieu sont diplômés et pratiquent plusieurs langues, et forment chaque année des personnes venus de tous les horizons : des businessmen comme moi, des artisans, des profs, des policiers, des étudiants... Ce lieu est donc résolument moderne et n’a rien à voir avec une ferme traditionnelle. Il est très performant : excédentaire en fruits et légumes, autonome en énergie et en eau, et abondant en joie de vivre. Je ne parlerai pas des conditions d’avenir offertes par ce lieu – ce système conçu de façon permacole – dans un contexte de raréfaction d’énergie et de bouleversement climatique, mais il y a fort à parier que sa situation sera plus envieuse que celle de nombre de propriétaires de biens fonciers improductifs.


La pensée complexe, mais pourquoi faire ?


Je tiens la permaculture pour la meilleure université de la complexité qui existe aujourd’hui, et Edgar Morin lui-même ne s’y est pas trompé. Elle permet de se poser les bonnes questions et de retenir son geste au moment d’appliquer une solution qui se transforme en problème.


Prenons l’exemple de la construction conventionnelle et grossissons le trait : je construis un mur en parpaings (bilan carbone désastreux) pour sa solidité. Mais il n’isole pas du froid. Alors je rajoute un isolant chimique (bilan écologique horrible). Mais cela ne préserve pas de la chaleur. Alors je rajoute une climatisation (bilan énergétique calamiteux). Et j’ai construit une maison dite « moderne », soi-disant confortable, mais en créant nombre de problèmes, pour un coût élevé. Sans penser à mal : j’ai simplement pris les problèmes (solidité, froid, chaud) les uns après les autres. Si j’avais pris tous les problèmes en même temps, j’aurais pu prendre (par exemple) du bois régional, de la terre du jardin, de la paille du paysan local, et j’aurais obtenu ma maison confortable sans créer un seul problème, et peut-être pour moins cher.


Un exemple en entreprise ? Je crée ma boîte en commençant par un super produit. Il a l’air de se vendre, alors je crée un département Ventes. Les flux d’argent rentrent: je crée un département Gestion. Les litiges clients arrivent : je crée un département Juridique. J’ai besoin de recruter etc... Tous ces départements reçoivent des objectifs tellement réduits et déconnectés de la raison d’être de départ de l’entreprise qu’ils finissent par être des concurrents internes... et fragilisent la société de l’intérieur. Tout cela parce qu’on a pris les problèmes les uns après les autres, sans pensée complexe. C’est tout le propos des Entreprises Opales, que j’ai déjà eu l’occasion d’expérimenter et commenter. D’ailleurs, la sociocratie ou l’holacratie sont des modèles qui, par nature, sont inclus dans la permaculture – ils font d’ailleurs l’objet d’une heure de cours pendant le CCP.


Plus bas, je vais essayer de montrer que la permaculture, discipline holistique par nature, s’applique à tous les champs d’activités des entreprises et pas seulement à son organisation.


L’éthique de la permaculture... et son apparition dans le monde économique


Quelle est l’éthique de la permaculture ? Elle se compose de trois piliers : prendre soin de la Terre, prendre soin des humains, créer l’abondance et distribuer les surplus.


A l’échelle d’une entreprise, c’est du pur bon sens : il faut prendre soin de son environnement (ce qui inclut les sites géographiques de l’entreprise mais également la Terre dans son ensemble, d’un point de vue climatique), si on veut que l’entreprise continue d’exercer ses activités de façon sereine. Aucune entreprise fonctionnant dans les conditions de son marché n’a envie de se retrouver, du jour au lendemain, sur un marché complètement différent. Elle a assez de fluctuations à subir à l’intérieur même dudit marché. Par exemple, une nouvelle réglementation ou un nouveau concurrent accapareront les comités stratégiques de votre entreprise... mais que pourrez-vous faire face à une épidémie décimant soudainement vos salariés ? Vous avez tout intérêt, dans le cadre de votre activité, à garder vos salariés en bonne santé et, comme cela a été généralisé dans les bureaux, installer des distributeurs de gel hydro-alcoolique.


Il faut prendre soin des humains. Cela peut se traduire par prendre soin de toutes vos parties prenantes en tant qu’organismes (vos fournisseurs, vos clients, vos autorités de marché, vos organes internes) et qu’humains (les personnes qui travaillent pour chacune de ces structures). Se désintéresser délibérément de l’une ou l’autre de ces parties prenantes, c’est couper une des racines de votre arbre : par là, la maladie pourra rentrer et contaminer le reste de la structure.


Il faut créer l’abondance (et distribuer les surplus). Créer l’abondance est le langage que connaissent le mieux les acteurs économiques. La redistribution leur est plus étrangère. La logique qui sous-tend ce principe est que la nature est finie. Si vous gagnez plus que votre part, alors quelqu’un ou quelque chose gagne moins que sa part (légitime ou nécessaire). Dès lors, vous contrevenez aux deux premiers piliers. Créez donc l’abondance (les principes de permaculture vous y aideront), mais n’oubliez pas de distribuer équitablement ce qui est « en trop » : il faut donc avoir défini cette notion de « trop ».


Cette éthique se retrouve largement dans les notions d’entreprises à mission qui ont le vent en poupe, décrites dans un livre de Pascal Demurger, PDG de l’assureur MAIF. Le mouvement de « l’économie bleue » baigne également dans le même paradigme. La permaculture n’est donc pas une lubie de jardiniers : elle est en plein dans le sens de l’histoire, et de façon beaucoup plus holistique que « l’économie bleue » ou les « entreprises à mission ». En effet, elle est capable d’englober ces nouveaux concepts, alors que l’inverse est faux. C’est pourquoi un permaculteur formé et compétent sera beaucoup plus intéressant quand on vise la réussite d’un projet (entreprise, collectivité, aménagement, association...) que n’importe quel expert de n’importe quel sujet.


Les principes de permaculture, et des applications possibles en entreprise


Vous le voyez, on n’a toujours pas parlé de jardinage. On n’en parlera pas davantage dans ce qui suit. Les permaculteurs chevronnés dérivent l’éthique dans des principes. Bill Mollison et David Holmgren ont chacun les leurs et, depuis ces pionniers, d’autres maîtres permaculteurs en ont posé d’autres. Je trouve que les principes de Holmgren sont plus inspirants pour une application au monde tertiaire, aussi nous allons les parcourir rapidement. Pour chacun d’eux, j’exprimerai une pensée tirée de mon expérience, qui n’a pas valeur d’analyse exhaustive mais vise à susciter la réflexion chez le lecteur, dans son environnement particulier (vos commentaires sont les bienvenus !). Si vous souhaitez un tour d’horizon complet de ces principes, il est bon de se référer à cette page.


1 – Observer et interagir


Il s’agit de prendre les informations correctes et de les traiter par l’action.

On peut prendre l’exemple de la gestion des problèmes clients. Dans ce domaine, tout signal faible est bon à prendre et à traiter. Une réclamation client est l’occasion de créer le débat. Cacher les sujets sous le tapis est une solution de facilité souvent mise en œuvre par les managers intermédiaires, qui sont souvent à ce poste de façon transitoire (« après moi le déluge »). Les leaders doivent créer une architecture de l’information interne permettant au bien de l’entreprise de ne pas hypothéquer le bien de chacun.


Un autre exemple : un responsable peut se contenter des indicateurs diligemment remontés par ses équipes, comme c’est le cas dans de nombreux bureaux. Cependant, la permaculture l’inviterait plutôt à être au contact de ses équipes, de les observer dans leur quotidien et prendre toutes les informations réelles possibles, plutôt que des résumés qui escamotent la réalité.


Dans mon expérience, je peux citer le cas de cette salariée lors de son entretien annuel. L’entretien se passe bien, pourtant elle n’a pas l’air heureuse après en avoir signé le compte-rendu. Je lui demande alors ce qui la rendrait vraiment heureuse, et elle me parle seulement à ce moment-là de son désir de réduire son temps de travail. Elle l’avait délibérément omis pendant l’entretien, persuadée par avance et à tort de mon refus. Si je n’avais pas observé son visage, ni tenté une interaction, cette salariée n’aurait jamais pu cheminer vers plus d’accomplissement personnel.


2 – Capter et Stocker l’Energie


Tout ce qui crée de la valeur, tout ce qui est représentable sous forme de flux peut entrer dans la case « énergie ». L’information, l’énergie vitale des salariés, le pétrole, l’électricité, le va-et-vient physique des visiteurs, ...


Je passerai sur les implications évidentes de ce principe portant sur l’énergie mise en œuvre dans les procédés industriels. Je visualise pour ma part à l’énergie humaine trop souvent ignorée et dissipée au sein des effectifs de nos entreprises. Quand une initiative apparaît au sein de l’entreprise, elle s’accompagne d’énergie. Je me dois de préserver cette énergie, de l’adjoindre de mécanismes visant à la valoriser et à la stocker, en particulier sous forme de connaissance (documentation facilement distribuable). Je pense aux projets d’intrapreneurs. Je pense aux logiciels de relation client (CRM) vécus par ignorance comme une contrainte par de nombreux commerciaux et donc mal renseignés.


L’exemple d’IKEA est connu. IKEA a clairement identifié le temps de présence des clients comme une énergie avec cette observation : plus un client passe de temps en rayon, plus son caddie sera important. De même qu’on va essayer de garder l’eau le plus longtemps possible sur un terrain, on va essayer d’augmenter notre surface de contact avec le client au maximum. Dans mon univers précédent (les services IT), tous les commerciaux savaient que c’était en passant le maximum de temps en présence d’un client (cafés, repas, réunions, soirées...) qu’on créait la confiance nécessaire au business. Cette confiance était l’énergie stockée qu’on utiliserait au moment opportun.


Une parenthèse concernant mon domaine de prédilection : dans l’informatique, ce principe est illustré par l’omniprésence de « l’expérience client », visant à fluidifier au mieux le parcours d’un client sur un site ou une app, afin de lui éviter la tentation de « zapper » sur un site concurrent. Notre temps d’attention, de plus en plus réduit, est devenu le flux majeur sur lequel se basent les concepteurs de produits digitaux aussi appelés « UX Designers », ou « concepteurs d’expérience client ». Le Design étant l’activité du Permaculteur, il est à parier que le secteur du Digital soit amené à s’inspirer de la Permaculture dans les années à venir… pour le pire ou le meilleur (lire en fin de post)


3 – Obtenir une Production


Ce principe semble couler de source quand on parle d’entreprise. C’est même un principe qui rassurera les dirigeants : la permaculture, ce n’est pas la rêverie béate ! Il faut produire pour avoir la force de vivre et travailler!


Cela me donne l’occasion de commenter deux phénomènes contemporains:

  • Le modèle des start-ups est-il permacole ? Il ne cherche pas de rentabilité immédiate, il cherche à promettre un monopole sur un marché à terme, s’appuyant sur des investissements de capitaux-risqueurs. Miser gros, de plus en plus gros, jusqu’à décrocher la timbale … ou mourir. La permaculture nous enseigne la méthode des petits pas (voir principe 9) et questionne largement le modèle de « quitte ou double » monté par les financiers, à la recherche de licornes (faut-il qu’ils se nourrissent de fables !). Ce modèle étant un des moteurs de la bulle boursière actuelle, il y a fort à parier (mais parier est-il permacole ?) que les start-ups sont un épiphénomène de l’histoire économique.

  • Les Labs qui ont fleuri dans bon nombre d’entreprises conventionnelles fonctionnent sur le même principe : investir à fonds perdus dans du temps de créativité interne, dans l’espoir de faire naître de nouveaux produits pour une entreprise dont le modèle est menacé : chaque assureur ou banquier a son ou ses labs, avec parfois de vraies réussites à la clé. Comme une start-up, on n’attend pas d’eux une rentabilité immédiate. Néanmoins, ils sont couverts par la production de revenus courante de l’entreprise, et en ce sens sont beaucoup plus « permacool » qu’une start-up. On peut cependant se demander si, dans une entreprise permacole mature, ces labs seraient nécessaires : en effet, on peut imaginer que l’innovation serait incluse à tous les niveaux de l’entreprise, si celle-ci a fait de la résilience une valeur forte.

4 – Appliquer l’auto-régulation et accepter la rétroaction


Ce principe invite à savoir quand s’arrêter pour ne pas déséquilibrer un système, et à comprendre les répercussions positives comme négatives de nos actions.


D’un point de vue financier, on va retrouver sous ce principe ce qui caractérise les « entreprises à mission » : il s’agira de répartir les profits entre l’investissement interne, les fournisseurs et l’environnement de l’entreprise. L’auto-régulation implique de modérer la croissance : un organisme qui croît au-delà de tout contrôle, dans la nature, s’appelle un cancer ! Alors, dans l’entreprise, qui détermine à quel point on a besoin d’être rentable ? Qui détermine ce qu’on va faire des surplus ? Mon expérience personnelle me rappelle que ce point est extrêmement intéressant à discuter entre salariés – et évidemment très frustrant quand on se heurte à une hiérarchie qui ne souhaite pas jouer ce jeu-là. Il permet d’ouvrir les yeux sur la réalité du capitalisme et de rêver à d’autres possibles – un préalable nécessaire avant leur occurrence !


Il est raisonnable, pour un service commercial, de s’enquérir de la capacité de l’entreprise à honorer ses contrats. J’ai vu trop de commerciaux peu scrupuleux vendre des projets que les équipes de production étaient incapables de livrer. Un dirigeant d’entreprise permacole ne peut pas laisser passer ce genre de comportement… et encore moins le récompenser par des primes commerciales !


La rétroaction est un principe de pensée complexe que je n’aborderai pas ici. On peut cependant l’illustrer de deux façons importantes pour l’entreprise :

  • si vous externalisez un risque, alors vous n’acceptez pas une rétroaction négative potentielle. Les assureurs utilisent la réassurance, par exemple, qui est un outil très controversé et dangereux en finance. De même, si vous récupérez des téléphones portables « au nom de l’environnement » pour les revendre comme déchets par containers en Asie, cela n’a rien de permacole. Ou si vous « compensez » vos émissions carbone, vous déléguez à quelqu’un d’autre la responsabilité climatique de votre entreprise… sans garantie réelle que cela sera suivi d’effet. Quelles sont les rétroactions négatives que votre entreprise a cachées ? Par exemple, que doit-on penser du leasing de véhicules qui absout totalement les conducteurs de la médiocrité de leur conduite ?

  • si vous privilégiez toujours le court terme sur le long terme, comme notre société nous invite à le faire - alors nous choisissons de ne pas considérer les effets négatifs à long terme de notre action. Nous nous défaussons de nos responsabilités sur nos successeurs dans l’entreprise, tout comme certains baby-boomers appellent aujourd’hui les jeunes à prendre le sujet du climat en main… alors qu’ils ont eux-mêmes largué l’essentiel des GES dans l’atmosphère. En entreprise, je pense que nous avons tous vécu ces choix en dépit du bon sens qui privilégient l’immédiat à la durabilité… La « dette technique », en informatique, en est l’illustration directe.

5 – Utiliser et valoriser les ressources et les services renouvelables


Ce principe et le suivant sont faciles à illustrer dans le monde de l’industrie. Oui, mais dans celle des services ? Que peut-on mettre derrière des ressources et services renouvelables ? A mon sens, c’est l’application de la maxime « Donne-lui du poisson, il mangera un jour. Apprends-lui à pêcher, il mangera tous les jours ». Tout comme le principe de stockage d’énergie, il invite à privilégier l’automatisable au « coup par coup», le processus à l’improvisation. Plus généralement, il permet de se poser la question : dans notre activité économique, quelles sont les ressources et services non-renouvelables que nous consommons ? Comment peut-on changer cela ? C’est une bonne façon d’aborder, par exemple, les plans de déplacements des salariés.


6 – Ne produire aucun déchet


L’application classique de ce principe est la suppression des gobelets plastiques pour l’eau, ou bien (cela reste à généraliser) la fin des dosettes de café. Cependant, on peut une fois de plus filer une métaphore et considérer tout ce qui, dans la vie de l’entreprise, est perdu pour toujours et avait de la valeur pour la bonne marche de l’entreprise. Par exemple, un salarié en arrêt maladie peut être considéré comme un « déchet » de l’entreprise : c’est une ressource de valeur qui est sortie du système. Comment aurait-on pu faire pour ne pas perdre cette ressource ? D’un point de vue des ressources humaines, le déchet s’exprime sous cette forme, mais aussi sous celle de la démotivation ou d’un accident du travail. Du point de vue du marketing, comment peut-on promouvoir l’image de la boîte sans distribuer à gogo des gadgets en plastique sur des salons, qui iront directement à la poubelle ? J’ai été témoin d’une entreprise faisant, de fait, la promotion de sa politique de « pas de goodies » sur un salon : effet garanti, quand tous les stands le jouxtant proposaient stylos, handspinners (vous vous souvenez ? 2017 ?). Ou comment de promouvoir utile au lieu du futile… pour un coût nul !


Les adeptes de la stratégie du Zéro Déchet témoignent d’un enthousiasme qui les saisit au fur et à mesure de leurs progrès. Nul doute que cela puisse venir, également, renforcer la cohésion de vos équipes si vous les accompagnez correctement ! Pensez-y au moment de renouveler votre flotte de voitures ou d’ordinateurs…


7 – La Conception, des motifs aux détails


La Conception, ou Design, est l’objet majeur du Cours de Conception en Permaculture, comme son nom l’indique. Il permet de cartographier son projet dans l’espace et le temps, et représente l’objectif finalisé et conscientisé.


Dans le cas d’une entreprise, ce principe nous invite à cartographier l’entreprise en partant des grandes structures vers les détails. Il est logique de s’intéresser à la réglementation en vigueur avant de lister les boulangeries la plus proche pour les déjeuners à emporter.


J’utilise ce principe quand, reprenant ma casquette de commercial, j’essaie de cartographier mon marché. Quels sont les clients que je vais appeler tous les jours, et quel type d’activité vais-je leur consacrer ? Quels sont ceux qui vont nécessiter un appel par semaine ? Par mois ? Par an ? Jamais ? Cela me permet de bien distinguer les activités essentielles de celles qui sont annexes et auxquelles je peux renoncer sans regret. Une bonne façon d’éviter le burn-out est en effet d’identifier les zones à soigner de celles à simplement entretenir… ou abandonner.


8 – Intégrer au lieu de ségréguer


Voici le principe que je chéris le plus, et que j’ai découvert il y a quelques années grâce à Rob Hopkins. Je le rephrase ainsi : il n’y a pas d’adversaires, il n’y a que des partenaires que vous n’avez pas encore emmenés avec vous. Personne ne doit être écarté pour quelque raison que ce soit. Il n’y a rien de plus puissant pour un leader que de tolérer et respecter l’opposition, car c’est ainsi que le travail constructif nait et que des solutions pragmatiques et réalistes apparaissent. J’ai maintes fois souri devant des collègues me recommandant de rester discret à propos de telle ou telle initiative vis-à-vis de tel ou tel groupe de personnes. Il vaut mieux inclure ces personnes dès le départ, leur demander ce qu’elles en pensent, afin de l’intégrer dans son projet et d’anticiper les objections.


Au-delà des « adversaires », il est également bon de prendre l’avis et la force de toutes vos parties prenantes, y compris (oui, oui) vos concurrents ! Un Noël, j’ai organisé un repas réunissant tous mes concurrents connus de la place. Nous étions 24 commerciaux de sociétés différentes, mangeant des plateaux repas sans chichis sur « terrain neutre », réalisant que nous avions tous les mêmes problématiques, les mêmes aspirations. L’année suivante, je n’ai eu à relever aucun problème de relation lié à la concurrence, et au contraire de respectueuses relations se sont liées, jusqu’à nouer des projets de partenariats!


En interne cette fois, on peut parfois être découragé quand on doit mener un projet avec une équipe qu’on juge « de bras cassés ». Rob Hopkins nous dit que « les bonnes personnes sont celles qui sont là ». Autrement dit, je ne peux jamais me défausser d’un échec sur les personnes qui m’entourent. C’est un principe de réalité qui permet d’accepter les forces et faiblesses du groupe, sans désirer celles qui sont absentes. En fait, c’est ainsi qu’on peut se faire révéler les talents cachés. Alors, n’hésitez pas à intégrer ceux que vous avez l’impression de connaître très bien… Souvent, un collègue improductif est simplement… démotivé !


9 – Utiliser des solutions lentes et à petite échelle


Voici un principe qui pose problème dans deux cas: d’abord, quand il vient heurter le rêve des « startupeurs » qui veulent aller tout de suite vite, haut et fort. Ensuite, parce que l’urgence climatique, selon moi cette fois, exigerait d’aller si vite qu’on n’a plus le temps d’envisager la fameuse « méthode des petits pas ».


Et pourtant, il est pétri de sagesse quel que soit votre projet. A vrai dire, il est le fondement même de la philosophie Agile qui a révolutionné le métier de la gestion de projet depuis une vingtaine d’années. C’est donc un principe déjà largement suivi et appliqué dans le monde de l’entreprise, et que je commenterais pas plus avant.


10 – Se servir de la diversité et la valoriser


Quel beau principe ! Mon deuxième préféré. Une fois de plus, ce principe s’applique parfaitement à la gestion des ressources humaines. Il est bien connu des professionnels du recrutement, quand il s’agit de composer une équipe. Il faut absolument des compétences, caractères, attitudes complémentaires. L’important est d’avoir une culture commune, pour le reste il ne faut pas hésiter à mixer les âges, genres, sensibilités, ambitions, etc… Dans mon ancienne équipe, je mettais un point d’honneur à recruter des personnes de différentes nationalités et cultures, des jeunes comme des moins jeunes, des chômeurs comme des pros très demandés, des grognons comme des bisounours, etc… Les deux seuls critères (qui étaient le socle de notre culture) étaient : être gentil, et avoir l’envie constante de s’améliorer.


Les résultats étaient étonnants. Le groupe créait ainsi son identité sur les seuls traits communs qui les reliaient, à savoir ces deux critères. Nous n’avons eu à déplorer aucun conflit interne (comme par exemple quand des factions se créent par affinités dans des groupes trop homogènes), et le groupe est resté extrêmement soudé quand les difficultés externes sont apparues – ce qu’elles ne manquent jamais de faire.


De plus, la diversité favorise la créativité. Nous avons eu des propositions et des initiatives que nous n’aurions pas pu avoir si la pensée du groupe était trop consensuelle. Ce n’est qu’à force de débats que nous avons pu inventer des principes d’organisation internes, mais également des offres nouvelles pour nos clients !


11 – Utiliser les bordures et valoriser la marge


Ce principe est formidable et très contre-intuitif dans notre monde rationnel. Ici, on propose d’aller voir ce qui se passe aux bords de notre système. Quels sont les services que nous pourrions rendre de façon professionnelle tout en valorisant et qui existent déjà de façon gratuite ? En général, c’est l’écoute des intrapreneurs qui permet de développer ainsi de nouveaux services. Un exemple ? Dans mon ancienne équipe, nous nous étions organisés selon des principes sociocratiques. C’était une démarche interne, qui a coûté beaucoup d’énergie. C’était a priori invisible de nos clients, et cela représentait bien un « à-côté » de notre offre, une « bordure » de notre système. Pourtant, nous avons eu l’idée de proposer des retours de cette expérience à certains clients, d’abord gratuits puis, devant le succès… nous les avons facturés !


Et vous ? Quels sont les produits ou services que vous pourriez rendre dès à présent sans effort majeur, juste en y réfléchissant un peu ?


12 – Face au changement, être inventif


C’est le principe lié à l’innovation. Il y a deux types de changements : ceux que vous subissez et ceux que vous choisissez.


Il convient d’abord de faire preuve de clairvoyance envers ceux qui arrivent. Je suis certain que vous avez des personnes très attentives à l’évolution de votre marché. Ont-elles pris en compte le climat et les transformations sociétales (montée des inégalités, place de la femme, demande des nouvelles générations) ?


Ensuite, qu’avez-vous de nouveau à proposer en tant qu’entreprise ? Quels sont les changements que vous allez, vous, soumettre à vos clients et concurrents ?

Dans les deux cas, l’innovation prévaut. Elle est aujourd’hui partout, et on voit fleurir des Chief Innovation Officer au même titre que des Chief Happiness Officer. Les deux sont inutiles et contre-productifs. Si on s’intéresse au mouvement des « entreprises libérées », il apparaît clairement que la vraie innovation, celle du terrain, doit venir des professionnels à qui on donne les moyens (entre autres, des formations) de se poser les bonnes questions sur l’avenir.


Je prédis que nous allons voir apparaître des Chief Climate Officer dans les dix ans qui viennent – peut être parfois, avec un titre moins ronflant, sous les ordres du Responsable RSE. Ils seront également inutiles et contre-productifs. C’est à la direction de donner une impulsion, et à la base de produire les résultats.


Voici pour une première passe sur les principes de Permaculture appliquées au sein de l’entreprise. Je rappelle pour les lecteurs diagonaux que transformer ces principes en actions sans les faire passer par le filtre éthique n’a pas de sens et est au contraire dangereux. Alors, quelles que soient les idées qui vous viendront grâce à ces principes, demandez-vous : ceci prend-il soin de la Terre ? De l’homme ? Ceci permet-il de partager les richesses équitablement ? Alors seulement, vous aurez fait un pas vers la réelle soutenabilité de votre système.


PS : je précise que je n’ai pas encore lu « PermaEconomie » d’Emmanuel Delannoy qui semble plus théorique encore que mes réflexions, mais qu’il trône sur ma table de chevet sous des livres de bioclimatisme et d’Homo Deus (Harari). Ce livre me permettra sûrement d’enrichir ou compléter ce post, ce que je n’hésiterai pas à faire… et vous non plus j’espère dans les commentaires !

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