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  • Julien Geffray

Le temps des digues et des cabanes

En avril 2019, la cathédrale Notre-Dame de Paris s’effondrait, victime d’un incendie. Nous la reconstruirons, paraît-il, à l’identique.


Quelques mois plus tard, une pandémie mondiale se déclarait, introduisant plusieurs autres effondrements : celui du PIB, du débat démocratique, du pouvoir d’achat....


Climat, biodiversité, hausse des ventes d'armes... les perspectives d’un monde vivable sont floutées. La houle migratoire s’intensifie et les opportunistes en profitent pour ressortir les chiffons rouges. Les peurs agitées suffisent à justifier la mise en place de nouvelles lignes Maginot tout aussi dérisoires que leur aïeule … les « invasions barbares » annoncées pour ce siècle les submergeront quoi qu’il arrive, et quel que soit le nombre de casques alignés sur « nos » frontières.


C’est comme ça, le temps des cathédrales serait terminé. Viendrait le temps des digues.


Pour ceux qui ont été modelés à vivre dans un monde normé où les gentils peuvent gagner (la méritocratie), et où les méchants sont punis (la justice nationale), c’est ou ce sera bientôt un cauchemar.


Pour ceux qui trichent et gagnent depuis toujours, rien ne change. Quand ma règle de vie est de contourner celles du groupe, finalement que m'importent les règles du groupe?


Hors de ces deux catégories, il y a ceux qui portent la vertu comme règle supérieure aux lois, et se battent non pas contre les lois, mais en dépit d’elles. Les pionniers dont on a rencontré certains sur ce blog, les personnes dites « inspirantes » parce qu’elles refusent le confort d’un statu quo auquel leurs concitoyens ne trouvent rien à redire, précisément parce que celui-ci est amoral ou dangereux pour l’avenir. Cette période perturbée est-elle l’occasion que ceux-ci attendaient pour oser de nouveaux modèles ?


Aux difficultés de marché (hausses des coûts de matières premières, rareté de la main d’œuvre, recul de l’Etat, concurrence des marchés extérieurs), on voit ou verra vite dans quelle catégorie rentrent nos dirigeants d’entreprise (on sait déjà où se situent les actionnaires), et de quoi ils se nourrissent.


Il y a ceux qui voudront rebâtir la cathédrale à l’identique, croyant dur comme pierre que « tout passe », que l'ordre antique est éternel, quitte à raser une usine de captation de CO2 pour construire une charpente anachronique.


Il y a ceux qui vont bâtir les digues - en commençant par réduire les charges. Ceux-ci ont toujours fait comme ça. Dans un système où la confiance des actionnaires est la valeur refuge, aucun risque que cela ne change avant la fin.


Les derniers, enfin, vont voir apparaître les serrures dans les murs. Une seule clé pour ouvrir ces passages révélés : l’audace des entrepreneurs de demain, visionnaires d’un monde où les règles seront différentes, parce que les humains de consommateurs redeviendront des clients. Parce que le monde, par le renforcement des frontières et l’effondrement de la mobilité, redeviendra immense.


L’avenir est économique est illisible. D’un côté, on nous prédit des cathédrales encore jamais vues. Les GAFAM n’en sont peut-être encore que le commencement. L’empire Musk n’en est peut-être encore qu’au développement de ses premières cellules. De l’autre, la permaculture m’inspire une vision de la vaporisation prochaine de notre hyper-connexion. D’un renouveau « local et de saison », dans l’alimentaire comme dans le textile, la construction, la culture, la spiritualité... Ces deux extrêmes vont-ils cohabiter ?


Si oui, qu’existera-t-il, spatialement, entre les deux ? Quelles seront les valeurs à développer pour continuer à faire des affaires, et avec quels types de salariés ? Les empires high-tech emploient tant bien les ingénieurs qui n’ont pas renoncé à réussir, que les mal-nantis qui subiront toute leur vie leur boulot dans un entrepôt. Une génération formée et consciente émerge, en ces années Greta, et je pense que les attirer avec des projets porteurs de sens est aujourd’hui un effort qui sera rendu au centuple aux entrepreneurs conscients.


Si non, qu’existera-t-il, temporellement, entre les deux ? Par quelles évolutions allons-nous passer dans les manières de consommer, de payer (l’argent a-t-il seulement un avenir ?), de rétribuer ? Secteur par secteur, entreprise par entreprise, je crois que la question mérite d’être posée. L’espace d’opportunités qui s’ouvre aux dirigeants qui auront la chance d’être à la fois vertueux et audacieux est proprement vertigineux, tant le statu quo, avec ses règles et ses normes, semble être sur un fil.


Dans les deux cas, je crois très fort à l’émergence de « cabanes », de PME qui auraient eu le potentiel d’être des « start-up » dans le monde d’avant, mais qui resteront territoriales, et essaimeront par clonage plutôt que de grandir organiquement pour tout dévorer. C’est aujourd’hui un mécanisme à l’œuvre dans les secteurs physiquement contraints comme le bâtiment, avec la création de multiples petites entités, organisées en réseaux, par exemple dans la valorisation de matériaux biosourcés locaux, la construction paille, etc... Aux commandes, des personnes sans ambition de conquérir le monde, mais celle de faire ce qui leur semble juste.


En conclusion, il y a plusieurs façons de réaliser des affaires florissantes dans les dix prochaines années. La première, c'est de tricher. La seconde, c'est d'avoir dès aujourd'hui une position dominante (si vous avez le temps de lire ce blog, a priori c'est trop tard pour vous). Notez que beaucoup de grandes entreprises n'ont pas choisi entre ces deux options.


La troisième, c'est de penser "cabanes". Se former et former ses salariés à développer une réelle sensibilité écologique. Aller sur le terrain du spirituel s'il le faut. Recruter les candidats qui vous semblaient "originaux" (ce sont les HPI qui vous feront pivoter). Comprendre les attentes réelles de nos concitoyens et leur proposer de nouvelles voies hors de l'hyper-consommation. Réduire non pas les charges, mais la valeur embarquée : penser low-tech, local, conditionnement simple, service vs produit. Déconstruire la verticalité de la hiérarchie pour laisser apparaître une nouvelle structure productive et commerciale.


En affaire comme en politique migratoire, il y aura toujours un risque de cultiver l'ouverture... mais pas celui de se coucher avec le sentiment d'avoir fait ce qui est juste.

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